18.6.06

Vienne, lundi 12 juin

Le matin.
La chaleur a fini par arriver jusqu’ici, à l’est. Le grand thermomètre qui se trouve derrière la fenêtre de l’entrée – de la marque Melitta Kleemann & Co. – indique 30°c.
Le ciel est bleu pâle, sans un nuage, légèrement brumeux.
A ma droite, un mur de livres. Presque tous en allemand, mais pas seulement. J’en prends un, à portée de main du petit bureau où j’écris : Lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo, Grasset, 1937.
Saintes-Maries, juin 1888 : « Je me suis promené une nuit au bord de la mer sur la plage déserte. C’était pas gai, mais pas non plus triste, c’était – beau. Le ciel d’un bleu profond était tacheté de nuages d’un bleu plus profond que le bleu fondamental d’un cobalt intense, et d’autres d’un bleu plus clair, comme la blancheur bleue de voies lactées. Dans le fond bleu les étoiles scintillaient claires, verdies, jaunes, blanches, roses, plus claires, diamantées davantage comme des pierres précieuses que chez nous – même à Paris – c’est donc le cas de dire : opales, émeraudes, lapis, rubis, saphirs.
La mer d’un outremer très profond – la plage d’un ton violacé et roux pâle il m’a semblé, avec des buissons sur la dune (de 5 mètres de haut la dune) des buissons bleu de Prusse. »
Je suis ici, invitée par mon amie Marina Faust, dans l’appartement où vivait son père, Marcel Faust, jusqu’à sa mort en septembre dernier, à l’âge de 93 ans. Sur une photographie on le voit, jeune, assis sur un lit avec des boots à lacets, en train de fumer une cigarette. Marcel fumait des Laurens – cigarettes suisses faites de tabac égyptien – jusqu’à ce que la production cesse, à la fin des années 90. Il est alors passé aux Flirt, des cigarettes autrichiennes. A plus de 90 ans, il portait encore des jeans, lisait tous les jours les journaux – le Neue Zuercher Zeitung, le Frankfurter Allgemeine, Le Figaro, et d’autres – au café Tirolerhof ou au café Korb. Il vivait seul dans cet appartement, à deux pas de celui où il était né, en 1912.
Marie Faust, la mère de Marcel, la grand-mère de Marina, est morte à Auschwitz en 1942.
Après la guerre, Marcel est revenu à Vienne.
Marina, elle, a quitté cette ville à vingt-quatre ans.
Hier nous sommes allées au cimetière pour voir si la plaque avait été posée. C’est en cours. Monsieur Kohut, le Juif orthodoxe qui s’est occupé des obsèques, a été le premier à faire rire Marina après la mort de son père en lui demandant s’il fallait creuser la tombe plus profond, en prévision de son cercueil. Marcel avait donné des instructions pour que le nom de sa mère – elle, sans sépulture – soit inscrit sur sa tombe. Le nom de la mère de Marina, Christine, morte il y a quelques années et qui avait préféré être incinérée, sera aussi gravée sur la pierre tombale.
Ici, il y a plusieurs bibliothèques qui contiennent des centaines de livres. A côté du lit où j’ai dormi, ceux de Nadejda Mandelstam, Karl Marx, Walter Benjamin, Gershom Sholem, Joseph Roth...
A la fin Marcel n’arrivait plus à lire. Peu de temps après il est mort.
J’entends plusieurs tic-tac et la rumeur de la ville atténuée par les doubles fenêtres.
Une grande terrasse, côté nord, offre une vue magnifique sur Vienne – le palais impérial, le Burggarten, l’église Augustiner et le Stephansdom, le musée d’Histoire naturelle et le musée des Beaux-arts – jusqu’aux collines environnantes.
Marina dort encore.




17.6.06

Vienne, mardi 13 juin

Vienne, le dernier jour, dans la mélancolie du compte à rebours.
Dans vingt-quatre heures je ne serai plus ici, dans l'illusion d'un exil, certes éphémère.
D'ailleurs c'est déjà foutu, depuis quelques heures tout est teinté par la nostalgie. Je ne pourrais plus aller dans tel café, je n'entendrai plus le son des tramways, je n'aurai plus la sensation d'avoir plus d'espace et donc plus d'air, je ne me tiendrai plus bien droite quand je marcherai dans la rue, non, quelque chose fera que je marcherai courbée. Je partirai sans être allée au Volksgarten dont j'ai déclaré de façon péremptoire à qui voulait bien l'entendre que c'était mon jardin préféré à Vienne. Les conversations ne se feront plus tout à la fois en français, en allemand et en anglais. Je serai de retour en France, à Paris. Tous les mots écrits sur les affiches publicitaires, à la une des journaux et sur les couvertures des magazines signifieront quelque chose malgré leur évidente et terrible vacuité.
Combien de temps faudrait-il quitter la France pour qu'elle me manque ?
Tout à l'heure j'ai rencontré Wilmo, ami de Marina, Juif hongrois – survivant.
Coïncidence : il vit à Paris, à trois minutes de chez moi.
Une heure de conversation ininterrompue sur la terrasse nord de l'appartement. Lui, dans un français non seulement parfait mais vivant, précis, animé, rare. Moi, balbutiements, lenteur.
Après deux phrases plus aucune barrière n'existait entre lui et moi. Wilmo m'a appris plus de choses en une heure que si j'avais passé ma journée à lire. Les personnes les plus vivantes commencent souvent à se parler en évoquant leurs problèmes de santé, voire leur mort prochaine. Beaucoup de juifs ont une forte tendance à l'hypocondrie – peut-on dire une chose pareille? –, de plus ils sont capables de provoquer le rire le plus joyeux quand ils racontent les choses les plus terribles – quant à elles, tout à fait réelles – qui leur sont arrivées.
Le soleil vient de disparaître derrière la coupole du musée des beaux-arts.
Le long du Ring les réverbères se sont allumés. Au loin je distingue les collines sous un ciel gris et rose.
Le moment le plus idiot et regrettable de cette journée aura été la lecture du Monde au café Sperl.

16.6.06

Vienne, Paris, mercredi 14 juin

Ils portent tous un costume – impeccable – et la plupart du temps, une cravate. Leurs cheveux sont coupés court.
Les femmes, en plus petit nombre, portent une jupe droite ou un pantalon à pinces avec un pli, avec veste assortie sur chemisier ou T-shirt (légèrement décolleté). Les couleurs : gris clair, beige ou repoussantes, comme saumon ou moutarde. Parfois, des imprimés. Chaussures : à petits talons.
Leurs vêtements sont bien repassés et ils ont l’air neuf.
On les voit quand on voyage, dans les avions, dans les trains et dans la plupart des hôtels.
Ils ont une valise à roulettes de petite taille et une mallette qui contient leur ordinateur portable (toujours un PC). La plupart du temps, ils parlent dans leur téléphone portable.
Ils se ressemblent tous, quelle que soit leur race et leur origine.
Ils lisent le journal, principalement ceux sur l’économie : The Financial Times, Les Echos, The Economist, mais aussi Le Monde, La Repubblica, El Mundo, The International Herald Tribune, etc. Il se peut qu’ils lisent aussi des livres avec des titres comme La sociologie du management, L'Etude des marchés qui n'existent pas encore..., Le guide du Merchandising : méthode en 36 actions interactives ou La Fidélisation client : Stratégies, pratiques et efficacité des outils du marketing relationnel.
Ils ont tous été à l’école et ont fait des études secondaires.
Selon la grandeur de la structure qui les emploie, ils voyagent de ville en ville, au sein d’un même pays, ou d’un pays à un autre. La classe qui leur est attribuée lors de ces voyages (1ère ou 2ème dans les trains, Economy ou Business dans les avions) et le nombre d’étoiles des hôtels dans lesquelles ils séjournent, varient selon leur fonction et les responsabilités qui leurs incombent – leur grade.
On les trouve dans le monde entier. Pas seulement en Europe, en Amérique ou en Asie du sud-est mais aussi en Inde, en Amérique du sud ou en Russie.
D’origine modeste ou issue de la petite bourgeoisie, leurs familles, qui comptent souvent des ouvriers ou des paysans dans les générations passées, sont souvent fières d’eux. Pas seulement parce qu’ils ont un travail mais aussi, beaucoup, à cause du costume et de la mallette. Si le père ou le grand-père ouvrier ou paysan est encore dans les parages, il y a des chances pour qu’il soit moins dupe et regarde son rejeton et sa panoplie d’un air suspicieux, moqueur ou carrément dégoûté.
Ils sont salariés et peuvent perdre leur travail aussi vite que le permet la législation du pays dans lequel la structure qui les emploie est "implantée".
Leur travail – un petit maillon dans une grande chaîne – consiste à participer à la destruction de tout ce qui est beau, tout ce qui est vivant, tout ce qui est différent, dans le monde entier.
Pour certains, en toute inconscience, pour d’autres, dans le cynisme le plus total.
Généralement, ils ont des enfants.
On peut évidemment imaginer qu’ils ont une âme et un cœur enfouis dans les profondeurs de leur être.
Aujourd’hui, à l’aéroport de Vienne et à l’aéroport de Paris, j’en ai vu beaucoup.
Le dialogue qui suit est transcrit du film La Salamandre réalisé par Alain Tanner en 1971.
– Nous allons à petits pas vers la mort.
– Avant de crever, le capitalisme dans sa perversité fondamentale et la bureaucratie dans son dogmatisme obtus feront chier encore pas mal de monde.
– Ah ! Que le bonheur est proche ! Ah ! Que le bonheur est lointain ! Tu crois qu'on est foutus ?
– Non, en passant par là, on s'en sortira.
– En passant par là ?
– Oui, par là, on est en route vers la terre promise.
– Tu crois ? Les issues ont l'air plutôt bouchées.
– On a pas le choix. Ou bien on est en route vers la terre promise, ou bien on est en route vers la barbarie et l'intoxication programmées que nous préparent les technocrates.
– Avec l'appui des majorités silencieuses.
– Comme tu dis.
– Ah ! Que le bonheur est proche ! Ah ! Que le bonheur est lointain !

15.6.06

Paris, jeudi 15 juin

Il est 22 heures.
Depuis hier, à mon grand soulagement, il fait moins chaud.
Aujourd’hui j’ai traversé la ville en tous sens. Quatre trajets de métro, certains direct, d’autres faits de plusieurs changements, pendant lesquels je lisais « Crime et Châtiment » (dans la traduction géniale d’André Markovicz). C’est grâce à un très grand effort que j’ai réussi à m’arracher à ma lecture pour ne pas rater les arrêts et les correspondances.
J’ai déjeuné dans un restaurant cambodgien, Macha, au fond d’une galerie marchande, dans le XIIIème arrondissement. Un quartier rendu vivant par les communautés asiatiques qui y vivent et qui l’ont entièrement transformé.
Il y a quelques années, j’y habitais, au vingt-sixième étage de la tour Helsinki. Cette tour fait partie des Olympiades, construites à partir de 1969, juste avant que soient interdits les édifices de plus de 37 mètres dans la capitale française.
Il y quelques semaines la question des tours a été remise sur le tapis par Pierre Mansat, membre du Parti Communiste Français, adjoint à la Mairie de Paris. Depuis a lieu une polémique autour de l’urbanisme du Paris de demain et de sa hauteur.
J’ai adoré habiter une tour. Pour le soleil que je voyais chaque soir descendre à l’horizon, pour la découverte d’une ville que je voyais différemment, de loin, pour le calme protecteur de la hauteur, pour l’exotisme de la situation, pour les centaines de boîtes aux lettres dans le hall. Je vivais à Paris mais j’avais l’impression d’être ailleurs. Impression renforcée par la présence asiatique dans le quartier. A chaque retour de voyage, j’entrais chez moi et la vue me stupéfiait à nouveau. Tout ce qui se passait dans le ciel, qu’il soit nuageux, azuré, couvert, orageux, violet, orange, pâle ou bleu marine, avait pris une grande importance dans ma vie.
A cette époque, je n’avais pas encore trente ans et je n’avais pas peur du vide.
Quitter cet appartement a été le plus triste de mes déménagements et je suis restée longtemps sans retourner dans ce quartier de peur d’être submergée par la nostalgie.
Ce soir j’ai dîné dans le Xème arrondissement, à La Chapelle, dans un restaurant indien, Dishny, très différent du type de ceux que l’on trouve passage Brady. On y mange une nourriture excellente et fraîche pour très peu d’argent.
Ce quartier aussi a été complètement transformé par l’installation progressive des indiens et des sri-lankais – principalement Tamouls – depuis une dizaine d’années. D’un des plus glauques de Paris il est devenu joyeux et vivant et il continue de se transformer, presque chaque jour.
Paris, vidée de ce qui faisait son peuple – évincé à la périphérie – survit grâce aux populations étrangères qui s’y sont installées. Sans elles, Paris serait déjà morte, ne serait plus qu’une ville fossilisée, peuplée de bourgeois, envahie par les boutiques de décoration, de vêtements et de téléphones portables, par les agences immobilières et les agences bancaires.
Paris. Il est minuit.

14.6.06

Paris, vendredi 16 juin

Il commence sans vert aucun, lorsqu’on quitte le boulevard Saint-Germain, à l’Odéon, et qu’on entre dans la rue de l’Ecole de médecine.
A partir de là, tout est différent – c’est l’échappée.
Passée l’université René Descartes et la rue Hautefeuille, dont on suppose qu’elle doit son nom aux arbres touffus qui la bordaient, je jette toujours un coup d’œil sur la pâtisserie viennoise, même si je n’y vais plus depuis longtemps, pour vérifier qu’elle est toujours là.
Il faut traverser le boulevard Saint-Michel, quelques mètres encore du monde bruyant et oppressant que j'ai laissé derrière moi, puis c’est déjà la rue des Ecoles. A partir de là, plus rien ne viendra interrompre le chemin vert.
Sur la gauche, en face de la Sorbonne, le square Paul-Painlevé, inauguré en 1900 et où l’on trouve quelques arbres magnifiques.
Sur la droite, passée la rue Saint-Jacques, devant le collège de France, deux des plus beaux platanes de la ville entourent la statue de Dante.
Un peu avant le croisement avec la rue Monge, sur la droite, au bout de la rue des Bernardins qui finit en impasse, se trouve le petit hôtel Henry IV qui me semble être un endroit idéal pour passer une nuit avec la personne aimée.
C’est là aussi que commence le square Paul Langevin, créé en 1868 devant le bâtiment de l’ancienne école polytechnique et son magnifique double escalier dont les larges rampes sont entièrement recouvertes de verdure – la viorne.
Selon les saisons, l’escalier est dépouillé ou croule littéralement sous le feuillage.
En hiver, rien ne différencie les plantes grimpantes mortes de celles qui sont vivantes. Les ramifications de lignes qui se dessinent sur les murs sont nues.
Au début du printemps je scrute anxieusement les premiers signes de vie même si je ne peux dire ce que j’aime le plus, un mur envahi par les feuilles ou par les lignes qui parcourent la pierre.
Sur le haut mûr du bâtiment qui se trouve au fond du square, une immense nappe verte – de vigne vierge – frémit dans le vent. Plus loin, sur le même mur, des lignes sèches attestent de la mort d’une plante.
Ici se trouve un marronnier extraordinaire.
C’est la fin du jour et tous les verts deviennent sombre.
Les arbustes qui couvrent le double escalier sont en pleine feuillaison – jamais je ne pourrai me lasser de le regarder.
Le long des grilles, de ridicules pots de fleurs circulaires ont été installés autour du tronc des cerisiers. Je détourne le regard.
Plus bas, j’ai le choix : prendre la rue de Poissy ou la rue des Fossés Saint-Bernard. Dans la première, de loin, j'aperçois les deux grands platanes du collège des Bernardins – en travaux. Ils sont en piteux état. Je n'aime pas voir un platane récemment taillé et décide donc de longer l’Université Jussieu – en travaux également – par la rue des Fossés Saint-Bernard.
Sur ma droite, ligne de platanes en pleine beauté qui se termine, au croisement avec le boulevard Saint-Germain et les quais, devant l’institut du monde arabe, par un platane plus immense que tous ceux qui le précèdent. Cet arbre fait partie de ceux qui jalonnent mon chemin.
La traversée de la Seine par le Pont de Sully peut à elle seule me réconcilier avec Paris, même si dans ce sens-là, lorsque je retourne sur la rive droite, la traversée se fait à contrecœur.
Ce soir, au-dessus de Notre-Dame, le ciel est bleu et rose, tout en traînées horizontales.
En amont, une foule joyeuse s’est installée sur les berges, depuis le Pont, en direction d’Austerlitz.
Au loin la bibliothèque de France – rose.
Traversée de l’île Saint-Louis. Densité verte du square sans nom de l'extrémité de l'île et sur ma gauche, le mystérieux jardin de la magnifique demeure.
Deuxième partie du pont, il est 22 heures 30, les réverbères s’allument. Ciel fuchsia et violet. Lumières des phares sur les voies rapides. Le banc aux Polonais ivres est vide.
Square Henri Galli, plusieurs platanes centenaires et magnifiques. C’est la fin.

13.6.06

Paris, samedi 17 juin

Saturday. International Shopping Day.
Non pas que les habitants de la planète ne consomment pas les autres jours, mais le samedi, ça s’intensifie et ça se densifie. Les jours précédents, beaucoup travaillent et le jour suivant, on ne peut pas acheter ou presque pas.
Il y a quelques temps, j’étais dans un bus, à l’arrêt, quand une fille, parmi des adolescents qui se trouvaient sur le trottoir, a interpellé le chauffeur : « Vous allez à Adidas ? ». Sans Bonjour, sans Merci.
Pour ceux-là, la ville est un centre commercial géant. Pour d’autres, par exemple les socialistes de la Mairie de Paris, elle est un grand Disneyland culturel.
Je n’ai plus de shampoing. Je vais devoir aller me mêler à la foule des autres consommateurs. Mais acheter quand ça répond à une nécessité est un plaisir, comme manger quand on a faim. Saturday n’étant pas spécifiquement l’International Shampoo Day, je devrais m’en sortir sans trop de heurt. Même si, il faut bien le dire, ce n’est pas à la pharmacie d’en face ou au supermarché du coin que je vais pour acheter mon shampoing – en provenance de New York.
Le plaisir n’en est que plus grand.
Voilà, j’en reviens, après avoir fait un détour par ma planque où j’ai bu un grand crème. Ma planque était déserte, le patron, Michel, faisait une sieste et le jeune homme qui tenait le café m’était inconnu.
Avoir une planque près de là où on vit est une grande chance. Je l’ai découverte plusieurs années après ma venue dans le quartier. En plus d’être un café dont l’atmosphère me convient parfaitement, le soir on peut y dîner et c’est très très bon.
J’écoute les Modern Lovers et l’extraordinaire voix nasillarde de Jonathan Richman. Ah ! Jonathan Richman. Evidemment il y a aussi Bob Dylan et David Berman mais en ce moment, peut-être parce que je suis plus joyeuse que triste, c’est Jonathan Richman.
1971, « Hospital » :
When you get out of the hospital/ Let me back into your life/ I can't stand what you do/ I'm in love with your eyes/ And when you get out of the dating bar/ I'll be here to get back into your life/ I can't stand what you do/ I'm in love with your eyes/ Oh, I can't stand what you do/ Sometimes I can't stand you/ And it makes me think about me/ That I'm involved with you/ But I'm in love with this power that shows through in your eyes
I go to bakeries all day long/ There's a lack of sweetness in my life/ And there is pain inside/ You can see it in my eyes/ Oh there is pain inside/ You can see it in my eyes/ Makes me think about me/ That I've lost my pride/ But I'm in love with this power that resides in your eyes
You live in modern apartments/ Well I even got scared once or twice/ Last time I walked down your street/ There were tears in my eyes/ Well these streets/ We all know/ They help us cry when we're alone late at night/ Don't you love them too?/ That where you got your eyes?/ Oh I can't stand what you do/ Sometimes I can't stand you/ And it makes me think about me/ How I'm involved with you/ But I'm in love with this power that shows through in your eyes
1973, « I’m Straight » :
I called this number three times already today/ But I, I got scared, I put/ It back in place, I put my phone back in place./ I still don't know if I should have called up./ Look, just tell me why don't ya if I'm out of place./ 'Cause here's your chance to make me feel awkward/ And wish that I had never even called up this place./ I saw you though today walk by with hippie Johnny./ I had to call up and say how I want to take his place./ So this phone call today concerns hippie Johnny./ He's always stoned, he's never straight./ I saw you today, you know, walk by with hippie Johnny./ Look, I had to call up and say, I want to take his place./ See he's stoned, hippie Johnny./ Now get this, I'm straight and I want to take his place./ Now look, I like him too, I like hippie Johnny./ But I'm straight and I want to take his place./ I said, I'm straight/ I said, I'm straight/ I'm proud to say/ Well I'm straight and I want to take his place.
(…)
Il manque la musique et l’humour qui passe par l’intonation de son incroyable voix.

12.6.06

Paris, dimanche 18 juin

« J'ai entendu la foudre et du feu est tombé du ciel. Quelque chose m'a renversé par terre. Mes bras et mes jambes étaient immobilisés et j'avais le sentiment que ma tête allait exploser. » Jeudi, en Bulgarie, a eu lieu un violent orage. Danail Gueorguiev, un homme de 38 ans qui s’était abrité sous un arbre, a pu ainsi échapper à la mort, alors que soixante-dix de ses chèvres ont été tuées par la foudre, à quelques mètres de lui.
L’été dernier j’ai assisté à un orage spectaculaire en Allemagne. Je me trouvais dans un village, au bas d’une montagne, et avant que celle-ci ne disparaisse entièrement derrière un mur de nuages noirs, j’admirais les chèvres merveilleuses qui se trouvaient sur son flanc. L’orage a duré une demi-heure, une tornade est passée, et je me suis terriblement inquiétée pour les chèvres. Quand le ciel s’est dégagé, la montagne a réapparu, beaucoup d’arbres et la plupart des toits du petit village avaient été arrachés, mais les chèvres étaient là, dans un creux, serrées les unes contre les autres, indemnes.
Contrairement aux vaches, qui se foutent royalement de nous, humains, quand nous passons près d’elles, les chèvres viennent amicalement à notre rencontre et nous fixent de leurs drôles d’yeux dont la pupille est verticale. Il se peut même qu’elles nous lèchent la paume de la main avec leur langue râpeuse.
A Madrid, le Paseo du Prado, la magnifique artère qui passe devant le musée du même nom, fait l’objet d’un projet de réaménagement pour lequel on prévoit l’abattage de centaines d’arbres centenaires.
La baronne Thyssen, veuve du baron du même nom qui avait légué sa collection d’art à la ville de Madrid en 1993 et dont le musée se trouve aussi sur le Paseo du Prado, a menacé de s’attacher aux arbres si la ville ne renonçait pas à son projet. « Je chercherai d'autres amoureux de la nature comme moi et nous nous attacherons à chaque arbre pour empêcher qu'on ne les tue ; j'emporterai un panier repas et on verra bien qui me fait bouger de là. »
Il y a deux ans, à Nice – ville corrompue entre toutes, belle, italienne – un crime terrible a été commis par les crapules en place à la Mairie. Avenue Jean Médecin, la centaine de platanes centenaires qui faisaient toute la beauté de cette grande avenue, ont été abattus pour l’aménagement du tramway.
Un homme rencontré par hasard dans le Vieux Nice m’a raconté qu’une femme qu’il connaissait s’était attachée à un platane pour essayer de faire arrêter le massacre.
L’équipe de France de football est en train d’affronter celle de la Corée du Sud en Allemagne. A Leipzig.
En1933, mes grands-parents paternels ont fui la ville de Leipzig pour venir en France. En 1940, ils ont fui la ville de Paris, avec mon père qui avait 7 ans, pour le Brésil. Le voyage s’est fait par bateau. Lisbonne-Rio de Janeiro. Au Brésil, mon père qui était né à Paris est devenu brésilien et jouait au football presque chaque jour sur la plage. Beaucoup de ses amis étaient noirs. En 1947, mes grands-parents et mon père ont quitté le Brésil pour la France, où je suis née, vingt et un ans plus tard.
A Vienne, mardi, j’ai déjeuné avec une nouvelle amie, coréenne. Nous avons été dans un restaurant coréen – une de mes cuisines préférées. Pendant le repas, ma nouvelle amie m’a raconté une histoire d’amour malheureuse. Elle avait des larmes dans les yeux.
Il y a un moment des cris et des klaxons ont retenti dans la rue et j’ai su que la France avait marqué un but. Maintenant j’entends quelques voitures, des oiseaux chanter et j’attends le prochain but.

PUBLIÉ SUR LE BLOG DE LA REVUE PYLONE OÙ J'AI ÉTÉ INVITÉE À ÉCRIRE CHAQUE JOUR PENDANT UNE SEMAINE