27.7.05

Spielweg, tornade


QUELQUES HEURES PLUS TARD CET ARBRE FUT DÉRACINÉ

Descente en bus dans l’étroite vallée de Münstertal jusqu’à Spielweg, petit hameau entre les montagnes à 600 mètres d’altitude. Pendant le court trajet sur une route escarpée, le ciel devient de plus en plus sombre. Les premières gouttes tombent, épaisses, suivies des premiers grêlons. Nous courons jusqu’à l’hôtel-restaurant Gasthof Spielweg où règne une agitation inquiète. Nous nous installons au bar. Des grêlons de la taille d’une balle de ping-pong rebondissent sur la petite route. Le ciel s’assombrit encore et le vent souffle, de plus en plus violemment. Sur la montagne – la veille à la même heure illuminée d’une belle lumière douce – les chèvres aux longs poils noirs et blancs se mettent en marche pour se rassembler plus bas, dans un creux à flanc de montagne. En quelques minutes la petite maison d’en face, la route et la montagne disparaissent. Dehors on n’aperçoit rien d’autre que le vent opaque et gris qui masque le paysage. Les fenêtres semblent prêtes à céder. Dix longues minutes pendant lesquelles nous ne sommes plus clients, serveuses, patrons, maîtres d’hôtel, français, allemands ou russes, mais tous ensemble, immobiles et silencieux. Puis la montagne réapparaît, les chèvres aussi, absolument immobiles. Électricité et téléphone sont coupés, des fragments de végétaux répandus sur la route. Une pluie fine continue de tomber sur le paysage bouleversé.
Nous sortons, hésitants, et nous nous dirigeons vers le jardin, de l’autre côté de la petite route. Le torrent, qui ce matin s’écoulait transparent entre les petits barrages de pierre, est maintenant sorti de son lit, emportant nombre de débris sur ses eaux boueuses et déchaînées. Au bord, gît, déraciné, l’immense arbre centenaire dont quelques heures auparavant j’admirais la grande beauté. Frau Fuchs, la propriétaire des lieux, s’éloigne en pleurant.
(in L’Europe de l’Ouest ou la disparition progressive des anges,
Le Purple Journal
, n°6, hiver 05-06)