16.10.03

Petropolis, dernière demeure de Stefan Zweig




THE HOUSE WHERE STEFAN ZWEIG AND HIS WIFE CHARLOTTE COMMITED SUICIDE, SITUATED ON A CROSSROAD.

Petropolis. Ville impériale. Ville coloniale. Des brésiliens, dociles, visitent les souvenirs sans intérêt d'une époque révolue. Tout est laid ici si ce n'est quelques arbres centenaires dans le jardin du palais, des sequoias. Petropolis, ville maudite. C'est ici que Stefan Zweig et sa femme Elizabeth Charlotte (Lotta) se sont suicidés en 1942 après y avoir vécu six mois d'exil. Leur maison, sans qualité et habitée par d'autres, se trouve près d'un carrefour, Rua Gonçalves Dias 34 dans le quartier de Valparaiso. Dans le cimetière, sans aucune beauté, où ils sont enterrés, des odeurs de pisse partout, un chien mort en décomposition devant une tombe et les employés qui rechignent à indiquer cette double tombe de suicidés avec des inscriptions en hébreu (la seule ici).
Rien de beau, sauf la route qui y mène, à travers les montagnes vertes et denses. Etait-ce différent en 1942 ? Beaucoup des petites maisons des années 1900 ont été transformées en centre médical, faculté de psychologie, école maternelle catholique. A la devanture d'un kiosque à journaux, ce dimanche, j'aperçois la Une du Jornal do Brasil avec la photo d'une femme qui marche sur une route. En gros titre : "A pé" (à pied). Cette femme, habitante de la banlieue de Sao Paulo, part de chez elle à 5h30 le matin et marche jusqu'à son travail. Le bus est trop cher pour elle. A quelle heure rentre-t-elle le soir ? Je pense à elle en parcourant les rues vides de Petropolis et aussi au roman d'Arthur Schnitzler, Mourir.
(in Hélène, n°4, hiver 2004)

16.8.03

Marguerite Duras, à propos des hommes

"L'homme doit cesser d'être un imbécile théorique. Le grand alignement opéré dans le monde entier, par la jeunesse, sur la condition minimale de l'être humain (dont la condition féminine et ensuite la condition ouvrière sont le premier aspect) implique l'abandon, par l'homme, de sa crécelle théorique et son accès au silence commun à tous les opprimés.
Il faut que l'homme apprenne à se taire. Ça doit être là quelque chose de très douloureux pour lui. Faire taire en lui la voix théorique, la pratique de l'interprétation théorique. Il faut qu'il se soigne. On n'a pas le temps de vivre un évènement aussi considérable que Mai 1968 que déjà l'homme parle, passe à l'épilogue théorique et casse le silence. Oui, ce bavard a fait encore des siennes en mai 1968. C'est lui qui a recommencé à parler et à parler seul et pour tous, de tous, comme il le dit. Immédiatement il a fait taire les femmes, les fous, il a embrayé sur le langage ancien, il a racolé la pratique théorique ancienne pour dire, raconter, expliquer ce fait neuf : Mai 1968.
Il a fait le flic théorique et ce brouhaha silencieux, énorme, qui s'élevait de la foule — le silence ici, c'est justement la somme des voix de tous, équivalent à la somme de nos respirations ensemble —, il l'a muselé.
Il a eu peur, au fond, il a été perdu, il n'avait plus de tribune tout à coup, et il a raccroché le discours ancien, il l'a appelé à son secours. Il n'y a pas eut de silence après Mai 68. Et ce silence collectif aurait été nécessaire parce que ç'aurait été en lui, ce silence, qu'un nouveau mode d'être aurait pu se fomenter, ç'aurait été dans l'obscurité commune que des comportements collectifs auraient percé, trouvé des voies.
Non, il a fallu que l'homme casse tout, et arrête le cours du silence."
(in Les Parleuses, avec Xavière Gauthier, Les Éditions de Minuit, 1974)