7.1.08

Alain Tanner, la peur (suite)

“Les mensonges et les lâchetés sont la règle, la lente mais sûre dévastation culturelle fait son chemin. La mondialisation économique parachèvera le travail. Guy Debord, il y a une quarantaine d'années, avait déjà tout compris lorsqu'il faisait le rapport entre capitalisme et mafia : ‘La mafia grandit avec les immenses progrès des ordinateurs et de l'alimentation industrielle, de la complète reconstruction urbaine et des bidonvilles, des services spéciaux et de l'analphabétisme’. Dans Paul s'en va, Paul, le professeur qui a disparu, a laissé dans son ordinateur un petit message destiné à ses étudiants. Le voici : ‘Qui, dans la suffocation intellectuelle contemporaine, n'éprouve ce désir insensé mais nécessaire, viscéral, de sortir par la puissance de son esprit d'un monde entièrement balisé par l'argent’. Un monde est ainsi en devenir, mais qui n'a aucun avenir, comme l'a dit Bernard Stiegler. Dans ce système dominé par la peur, et par la perte de toute forme d'espoir, sans utopie sociale, on a le sentiment qu'un projet de renouveau ou de révolte par le politique est devenu impossible. On ne fait que courir derrière des problèmes dont on ne voit plus la solution. Du coup, les religions montrent le bout de leur vilain nez, et il n'y a rien de pire que ce retour de l'obscurantisme. Dans ce contexte, toute action de résistance est bonne à prendre. Il faut donc soutenir tout acte de subversion par les moyens du discours artistique. Écoutons ceux qui nous parlent encore et citons un court extrait de Vivre de Pierre Guyotat, qu'on retrouve dans Paul s'en va : ‘Ma folie, c'est cette tentative d'élaboration d'une langue, d'une musique, par laquelle ce dernier homme, ce dernier esclave, pourra dire à son maître, à son politique, qu'il a les moyens d'obtenir la propriété de son corps et de son organe, mais qu'il n'a pas ceux de se rendre propriétaire de sa pensée. La pensée, ça ne s'achète pas, ça ne se vend pas.’ J'ajoute ces quelques lignes de Pasolini tirées des Lettres luthériennes, reprises dans ce même film : ‘Il n'y a pas seulement la possession du monde par les maîtres, mais aussi une possession du monde par les intellectuels. C'est la maîtrise culturelle du monde qui donne du bonheur. Ne te laisse pas tenter par les champions du malheur, de la hargne stupide, du sérieux joint à l'ignorance. Sois joyeux !’ Et à la fin du même film, Marina pose cette question : ‘Connaissez-vous ce proverbe ouzbek qui dit : ‘Quand tout a été détruit, il faut se mettre en quête du beau. Au travail, camarades !’’ La beauté, c'est ce qui résiste toujours.”
(extrait de “Tunnel”, in Ciné-mélanges, Éditions du Seuil, Fiction & Cie, 2007)