2.1.05

Belgrade-Budapest



2 janvier, Gare de Belgrade. Un homme se précipite vers les quais en me bousculant – pressé et nerveux, ses mouvements sont saccadés. C’est un fou. Il porte une longue barbe, ses yeux enfoncés dans les orbites, les joues creusées. Grand, maigre, très maigre. Il fait un froid glacial ce matin et il n’a pas fermé sa veste en velours, ni boutonné sa chemise jusqu’en haut. Ses habits ne sont pas de saison. Je vois sa poitrine décharnée.
Il est huit heures moins le quart. Je rentre dans le café de la gare et commande un thé à l’hibiscus. Quelques minutes plus tard il arrive, toujours en proie à l’agitation. Il essaie d’aller aux toilettes mais il faut une clé. Il essaie plusieurs fois, s’adresse à la serveuse puis à des personnes attablées. Personne ne répond. Une table se libère, il s’assied et verse le sucre, directement du sucrier à sa bouche, deux fois, trois fois, cinq fois. La serveuse lui apporte une pâtisserie. Son agitation est sans répit – regards aux aguets. La police arrive, l’un des deux policiers parle à la serveuse. Ils s’approchent du fou, lui parlent, celui-ci répond en brandissant le couteau avec lequel il coupait sa pâtisserie, le policier fait un bond en arrière, la main sur son pistolet puis lui arrache le couteau de la main et le jette sur la table. Le fou se lève et les suit.
Quelques heures plus tard, je suis dans le wagon-restaurant en direction de Budapest : de vraies nappes, vaisselle en porcelaine, un vase avec des vraies fleurs. Un cuistot, deux serveurs. Ils fument, mâchent du chewing-gum, boivent des coups, conversent avec les clients ou entre eux. Dans ce train il y a un idiot. Je l’ai déjà vu à l’aller, six jours plus tôt. Souriant et serviable ; échangeant quelques mots, une fois avec le serveur, une autre fois avec le contrôleur. Heureux – attentif aux besoins d’un voyageur ou les yeux dans le vague, un grand sourire sur le visage.
Je suis dans un train Intercity de l’état hongrois, seconde classe. Nourriture excellente. Salle à manger roulante qui traverse la Serbie – déjeuner dans le paysage qui défile. J’en ai la certitude, je le ressens : ici, nous sommes des êtres humains. J’aime le serveur, j’aime le cuistot, j’aime l’idiot. Je pense au TGV, je vois ce qu’on nous a fait en France. Tous réduits à l’état d’esclaves de la vitesse. Je pense au pauvre type ou à la pauvre fille, seuls derrière le bar minable du TGV, à servir de la merde dans une ambiance de mort. Je ne veux pas y retourner. Je ne veux pas pénétrer à nouveau dans l’espace de la CEE. Trains – supermarchés – écoles – hôpitaux – prisons. Non, je ne veux plus. Mon ami polonais me l’avait dit, à partir du moment où la Pologne est entrée dans le marché commun, les gens ont cessé de se parler dans les trains.
Je l’ai vu en temps réel, à l’aller. Le train a quitté Budapest ; à part quelques enfants, un mauvais silence. Le train s’est vidé au fur et à mesure. A la frontière il ne restait plus que quelques passagers. Puis nous sommes passés en Serbie, surpris de voir les caractères cyrilliques dans la première gare. Une foule est entré, s’est mise à habiter le wagon entier. Ils étaient beaux. Paysans, jeunes femmes – fiers. Tout le monde se parlait, s’interpellait, c’était absolument différent, palpable : la vie et : soulagement – bonheur.
(Le Purple Journal, n°4, printemps 2005)

1.1.05

Belgrade, l’Hôtel Moscou











L’Hôtel Moscou à Belgrade, très fréquenté par les habitants de la ville. Deux grands cafés et un restaurant, au premier étage, qui sert une cuisine française traditionnelle et raffinée dans une ambiance feutrée. On peut y déguster nombre de plats disparus des cartes des restaurants de France.