31.12.07

Orson Welles, Noël

“Voici revenir la saison au cours de laquelle nous faisons tous semblant de nous amuser tout en frôlant la ruine. Nous sommes les prisonniers souriants d'une fête que la publicité et le commerce ont volé aux enfants et qui a prostitué les sentiments humains authentiquement bons et généreux. Ce joli paquet cadeau, élégamment enrubanné, est vide et il faut le jeter à la poubelle sans l'ouvrir. Papa Noël, ce vendeur infatigablement jovial de Coca-Cola et d'une infinité d'autres produits, a fait son temps. Les enfants ont cessé de croire en lui, or, Noël doit leur appartenir à eux, et à eux seuls. (...)
La célébration de Noël est désormais interdite sous peine des châtiments les plus graves, à l'ensemble des citoyens de plus de neuf ans.”
(Vogue, décembre 1982)

19.12.07

Vassili Grossman, Arménie 1961 (deux extraits)



“Le mouton a des yeux clairs, un peu comme des grains de raisin, vitreux. Le mouton a un profil humain, juif, arménien, secret, indifférent, bête. Des millénaires durant les bergers ont regardé les moutons. Les moutons ont regardé les bergers. Ils sont devenus semblables. Les yeux d'un mouton regardent l'homme d'une manière bien particulière – ils sont aliénés, vitreux ; un cheval, un chien, un chat, n'ont pas ces yeux-là pour regarder l'homme.
C'est probablement avec des yeux pareillement dégoûtés et aliénés que les habitants du ghetto auraient considérés leurs geôliers gestapistes si le ghetto avait existé 5000 ans durant, et que tous les jours de ces millénaires des gestapistes étaient venus chercher des vieilles femmes et des enfants pour les anéantir dans les chambres à gaz.
Mon Dieu, combien de temps l'homme devra-t-il implorer le mouton pour qu'il lui pardonne, pour qu'il ne le considère pas de cet œil-là ! Quel doux et fier mépris dans ce regard vitreux, quelle divine supériorité que celle de l'herbivore innocent sur les meurtriers auteurs de livres et créateurs d'ordinateur ! Le traducteur battait sa coulpe devant le mouton, tout en sachant que demain il mangerait sa viande.”

“Il m'a raconté comment, dans la petite cellule étroite de la prison d'Erivan, se trouvaient quatre-vingts personnes, des gens cultivés : des professeurs, de vieux révolutionnaires, des sculpteurs, des architectes, des artistes, des médecins de renom, et avec quels efforts leurs gardiens les avaient comptés, s'y reprenant à plusieurs fois, se trompant toujours. Mais un jour, le garde était entré avec un vieil homme maussade, il avait embrassé la masse humaine, sur les grabats et le plancher, d'un regard rapide et était sorti. Cela s'était répété chaque jour. On aurait appris par la suite que ce vieillard était un berger. L'administration carcérale utilisait, pour le contrôle des détenus, sa phénoménale capacité de compter, en un instant, des troupeaux de moutons de centaines et milliers de têtes. C'était drôle, bien sûr : un berger comptait un troupeau de professeurs, d'écrivains, de médecins, d'écrivains, d'artistes.”
(La Paix soit avec vous, L'Age d'homme, 1989, 2007)
(photo, Arménie, mai 2002)

Tokyo, un bâtiment de l’université

17.12.07

Nice, le château

Emmanuel Berl sur Goethe

“Il y a chez Goethe un anthropomorphisme irréductible, qui le mènera au conflit avec Newton, sur la théorie des couleurs. La science mystique de son siècle a mal compris que cette lutte de Goethe, c'est le dernier sursaut de l'esprit magique. Malgré son esprit scientifique, malgré son génie de biologiste, quels que soient les succès apparents de Newton, Goethe ne peut pas accepter un univers inhumain, un univers en dehors de l'homme et sur lequel l'homme applique ses instruments de mesure. L'unité profonde de la Nature avec elle-même, et de la Nature avec l'homme, paraît à Goethe une évidence sur laquelle aucune théorie scientifique ne peut prévaloir.”
(Il fait beau, allons au cimetière,
publié avec Interrogatoire, de Patrick Modiano, Témoins, Gallimard, 1976)

16.12.07

Paris, rue Saint Maur, hiver

15.12.07

Joseph Brodsky (poème, extrait)

Vie privée. Pensées déchirées. Angoisses.
Couverture en coton, plus informe que l'Europe.
Par la chemise bleue et la veste qui se froisse
subsiste un reflet dans la glace de la grade-robe.
Tu veux du thé, visage, pour desserer les lèvres ?
L'air est soumis à la chambre comme à la dîme.
Hors des coupoles des pins, geais qui s'élèvent
à grand remue-ménage, rien que par un infime
coup d'œil à la fenêtre. Rome. Etre humain. Feuille.
Queue de lettre arrêtée, comme un rat qui file.
L'objet diminue ainsi en perspective (Dieu veuille
qu'elle soit partout aussi nette). Ainsi, tout fragile,
tout frissonant, protégeant des glaces gétiques
sous ses lauriers desséchés sa calvitie notoire,
on se traîne vers cette hypothétique
étendue, id est : par-delà l'Histoire.
(Elégies Romaines, X, traduction André Markowicz, in L'Alphée, n°16-17, 1987)

Joseph Brodsky (entretien, extrait)

“Piotr Vaïl : A présent quel tableau, quelle image visuelle est liée pour vous à Noël ? La nature ou un paysage urbain ?
Joseph Brosky : La nature, bien entendu. Pour toute une série de raisons, par-dessus tout parce que nous parlons d'un phénomène organique, naturel. Qui plus est, du fait que l'histoire de noël reste pour moi liée à une peinture, la cité y apparaît rarement. Quand la toile de fond représente la nature, le phénomène devient plus... éternel, j'imagine. Tout au moins, plus intemporel.
Si je vous ai parlé de paysage urbain, c'est parce que je me rappelle avoir entendu dire que aimiez fêter noël à Venise ?
Ce qu'il y a de plus important là-bas, c'est l'eau – qui n'a pas un rapport direct avec noël, mais avec chronos, le temps.”
(Conversation avec Joseph Brodsky sur le thème de la nativité,
in Le Lecteur, n°2, nouvelle série, janvier 2004)