6.1.08

Alain Tanner, la peur

“Nous sommes entrés dans le tunnel : la peur est devenue aujourd'hui l'un des traits dominants de la vie des sociétés, à des degrés certes différents, mais qui les affectent toutes.
Dans Paul s'en va, nous citons le poète Carlos Drummond de Andrade. Il écrit dans Congrès international de la peur : ‘Provisoirement nous ne chanterons pas l'amour, qui s'est réfugié plus bas que les souterrains. Nous chanterons la peur, qui rend stériles les ambassades. Nous ne chanterons pas la haine, car elle n'existe pas. Seule existe la peur, notre mère et compagne, la grande peur des Sertoes, des mers, des déserts, la peur des soldats, des mères, des églises. Nous chanterons la peur des dictateurs, des démocrates. Nous chanterons la peur de la mort, et la peur d'après la mort, et puis nous mourrons de peur, et sur nos tombes pousseront des fleurs jaunes et craintives.’
On constate avec inquiétude qu'aujourd'hui est pire qu'hier et on sait que demain sera probablement pire qu'aujourd'hui. Le cinéma, surtout américain, lorsqu'il met en scène la peur, en trouve l'origine, dans une sorte de malédiction divine, alors qu'en réalité, elle a sa source dans le triomphe, à tous les niveaux, de l'idéologie marchande. Nous sommes entrés aujourd'hui dans l'aire que certains économistes nomment l'économie-casino, où tous les jours le sort de millions de gens se joue à la roulette. Le capitalisme victorieux nivelle tout. Nous sommes dans un système de manipulation généralisée et une grande majorité des cinéastes sont complices de ce système.”

(extrait de “Tunnel”, in Ciné-mélanges, Éditions du Seuil, Fiction & Cie, 2007)